Mathieu Lacroix

lou Troubaïré Massoùn (1819-1864)

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Mathieu Lacroix, poète occitan, est né à Nîmes. Il était l'enfant naturel d'une pauvre couturière. Sa mère mourut alors qu'il avait neuf ans. Il était entré à l'école des Frères depuis quelques mois seulement. On l'en retira aussitôt, et il fut "placé" chez un chiffonnier qui l'envoyait mendier dans les villages alentours. Lorsqu'il ne ramenait rien, il était battu le soir en rentrant. Tout ces faits nous sont rapportés par Frédéric Mistral qui tenait Mathieu en haute estime, et lui consacra un article entier dans l'Armana Provençaù de 1866. A l'âge de 12 ans, il fut adopté par une femme veuve et seule comme lui qui le tira de cet enfer. Elle lui fit apprendre alors le métier de maçon. Quelques années plus tard Suzette Tilloy mourut et son fils adoptif vint s'installer à La Grand Combe on ne sait pas trop pourquoi, où il exercera jusqu'à sa mort son métier de maçon, tout en rimant de la poésie en Occitan, sa langue naturelle.

Mathieu se fit connaitre comme poète occitan lors d'une circonstance particulière. Cela se passa au grand rassemblement annuel des poètes de langue occitane, qui se tenait le 21 Août 1853 à Aix-en-Provence. Comment le pauvre Mathieu se rendit-il là, on n'en sait rien... Quoi qu'il en soit, il s'y trouva, et il lut au public rassemblé sa poésie intitulée "Paouré Martino" (Pauvre Martine) qui raconte comment un mineur trouve la mort dans un coup de grisou, et comment on vient apprendre ce malheur à sa femme Martine.  Mathieu croula sous les applaudissements d'une foule qui comptait tout ce qu'il y avait de beau monde en Provence... Voici ce que nous dit Mistral à ce propos.

Traduction : "Les larmes et les sanglots de l'auditoire couvrirent la voix du récitant. Le pauvre récitant, le maçon "malfichu" était devenu divin, resplendissant : et la foule ravie, tremblante, l'applaudissait, l'applaudissait. Le lendemain de ce triomphe, chacun retourna à ses affaires, à ses plaisirs ; le malheureux, qui avait tenu tant de coeurs dans sa main s'en retourna résigné -et pensif- à son marteau de maçon. Et l'ombre de la misère l'ensevelit de nouveau et pour toujours."

Mathieu en effet ne devait plus jamais sortir de La Grand Combe, où, nous dit Mistral, il produisait de temps à autre "un chant qui ressemblait aux pleurs d'un oisillon entre les griffes d'un chat". Son oeuvre littéraire n'est pas bien épaisse, mais elle contient une si grande humanité qu'elle en est admirable. Malgré cet anonymat, on sait que le jeune Alphonse Daudet, répétiteur au Lycée d'Alès, faisait de nombreuses promenades avec un maçon plus âgé que lui...!!

Mathieu Lacroix est mort très jeune, sûrement de misère. En plus sa minuscule entreprise de maçonnerie n'était pas florissante, et Mathieu embauchait tous les gens qui lui demandaient de l'aide et du secours. Ayant connu le dénuement le plus complet il ne voulut jamais y laisser les autres sans rien faire pour eux. Il mourut en 1864, et le poète félibre Albert Arnavielle, originaire d'Alès, lut une poésie sur sa tombe, dont voici un court passage :

 

Mès coumé l'aoucelet pieùten subre la branco

 

Qu'un cassaïré bestioù faï peri sans resou,

 

La daïa t'a pica que toun amo tant blanco

 

Aviè pas acabat de canta sa cansou...!

 

Aro que siès aù ciel as res perdu dau change

 

Cantaves estent ome, aro que sies un ange,

 

N'en cantaras que miel créï z-hou !

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E ieoù toun joiné ami, saves coumo t'aïmave

 

Es tu que m'as appres d'escrieùre un poù dé biais..

 

Quan ére qu'un efant, que m'ausies que bramave :

 

- Escouto mé disies, e dis coumo dirai.

 

Qu'es béoù nostre parla ! Vaï es pa mort encaro !

 

Que l'encante ta voues au soun de la titaro ;

 

Agues pa poù, t'adjudaraï

 

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Aro que siéi tout sol, faraï la memo caouso...

 

Nostres poden mori, la lengo restara.

 

Vole veni souven onte ton cors reposa

 

Pieï d'a ginol aqui mon ama cantara.

 

E per m'ausi, d'amount, ieu te veraï descendre

 

- Grammecis, moun efant ! me diras, et ta cendre

 

Dau plasi n'en trefolira !

 

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Mais comme un oiselet pépiant sur la branche

Qu'un chasseur idiot fait périr sans raison

La faux t'a frappé, sans que ta si blanche âme

N'ait pu terminer sa chanson.

Maintenant que tu es au ciel, tu n'as rien perdu au change.

Tu chantais étant homme, maintenant que tu es un ange,

Tu n'en chanteras que mieux, crois moi !

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Et moi, ton jeune ami, tu sais comme je t'aimais.

C'est toi qui m'a appris à écrire un peu comme il faut..

Quand j'étais un enfant, que tu m'entendais pleurer :

- Ecoute, me disais-tu, et dis comme je dirai.

Qu'elle est belle notre langue ! Va, elle n'est pas encore morte !

Que ta voix l'enchante au son de la cithare ;

Et n'aies pas peur je t'aiderai !

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Maintenant que je suis tout seul, je ferai de même..

Nous autres, nous pouvons mourir, la langue restera.

Je veux venir souvent là où ton corps repose

Puis d' à genoux ici, mon âme chantera.

Et pour m'entendre, de là haut, je te verrai descendre :

- Grand merci, mon enfant ! me diras-tu, et tes cendres

En frémiront de plaisir !

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Les mineurs de La Grand Combe ne se trompèrent pas sur les qualités de coeur de Mathieu Lacroix et après sa mort ils firent une quête parmi eux pour lui élever une statue. Il fallut longtemps pour réunir les fonds, et longtemps pour réaliser le buste de Mathieu. Ce buste fut finalement élevé en 1899.

Le jour de l'inauguration, il y avait foule à La Grand Combe, et parmi de très nombreux félibres se distinguait Frédéric Mistral venu spécialement de Maillane, au premier rang au milieu ci dessous.

Le buste en bronze offert par les mineurs fut détruit en 1943 par les allemands qui le firent fondre. On le remplaça plus tard par celui ci, où le pauvre "Mathivet" n'est guère reconnaissable. Il trône désormais au centre de la petite place qui porte son nom.

 

Il nous a laissé un petit opuscule où figurent ses oeuvres complètes, édité entièrement en occitan à La Grand Combe, en 1899. Cet opuscule est devenu quasiment introuvable.

 

EXTRAITS

 

Paoùré Martino 

 

Martine raconte à son mari le songe qu'elle a fait pendant la nuit et le supplie de ne pas partir travailler à la mine ce jour-là :

 

J'ai vu se propager la flambée que fait le grisou quand il explose, et toute la mine étouffée, et des hommes tombés là-bas dessous.

J'ai vu la chaleur épaisse, fumeuse, noire comme un trou, dans une galerie remplie de mineurs brûlés jusqu'aux os.

J'ai vu sortir sur des civières des gens blessés, morts, brûlés, écrasés par de lourdes pierres, aplatis et écrabouillés.

Laisse moi finir de te dire ce qui me pèse le plus sur le coeur. Tu veux le savoir, c'est bien pire, je t'ai vu rester sur le carreau !

 

 

(Extrait de "Paouré Martino")

 

 

 

Alain Gurly - 12/2004

 

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