Lessive au Gardon

 

 

 

LA LESSIVE


        Quand je suis fatigué d’entendre des bruits de guerre à la télé, ou bien des bruits de démission foudroyante ou encore de crevaisons décevantes, ou pis, des heures de commentaires sur les problèmes du football, dont tout le monde pense avec raison que c’est bien en ce moment le cadet de nos soucis....
        Quand je suis fatigué, je passe mon vieux blouson, un vieux pantalon, je mets une casquette et je pars, à l’heure où le jour se lève, arpenter la campagne en regardant la nature.

        En ce moment, c’est la rivière qui m’attire. Il fait très froid ces jours-ci. Sur les bords du Gardon où je me promène, les chandelles de glace sont légions aux berges humides. Les paillettes de gelée blanche luisent en larges flaques sous les premières lueurs du jour qui se lève. La végétation est endormie en cette saison, mais la nature vit sous les branches des aulnes, des peupliers et des acacias qui bordent la rivière.

        Outre les innombrables passereaux qui attendent, pépiants et transis, perchés sur leurs fétus, que le soleil fasse fondre le givre pour découvrir quelques graines oubliées , on aperçoit aussi les merles et les grives filant en trajectoires rapides et sombres au ras des broussailles. Ils sont venus de haute Lozère trouver chez nous une température plus clémente et une pitance plus aisée, car les temps sont durs aussi pour les oiseaux.

        J’ai eu la chance d’apercevoir un couple de hérons cendrés, animaux magnifiques, dont l’arrivée le long de notre Gardon est relativement récente... et bienvenue ! Je n’ai pas vu les castors, ces jours-ci, il fait trop froid. Mais, à trois mètres de moi s’est enfuie une buse, avec un cri rauque de surprise. J’ai même vu (j’espère qu’il y aura des jaloux ) une rareté : un faucon crécerelle, bestiole quasiment mythique à notre époque empuantie par les pesticides. Il est venu se poser à quelques pas de moi, et je me suis gelé avec plaisir, en le regardant longuement lisser les plumes de sa collerette.

        Le long des chemins et des berges où les herbes sont raidies par la gelée, j’erre ainsi longtemps, jusqu’à ce que la lessive soit faite..... la grande lessive du cerveau, dont nous avons tous si grand besoin.
        Et, quand je me sens le crâne vide, la tête bien nettoyée, que je n’ai plus ni soucis ni rancoeur, ni amertume ni ressentiment, que je me sens en paix avec la nature et les autres, je retourne lentement chez moi, sous le soleil déjà haut, dans la brise qui se lève.......

Alain Gurly - Les carnets d'un Réboussié - 2001

 

 

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