Albert Arnavielle

(1844-1927)

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 Fils d'un marbrier, Albert Arnavielle nait le 22 Juillet 1844 à Alais, Rue d'Avéjean. Il fréquente quelques temps l'école des Frères des Ecoles Chrétiennes, mais il doit gagner sa vie et il rentre comme employé à la Compagnie des Mines de Bessèges.

Cet homme qui se surnommait lui-même l'Arbi (l'Arabe), et que l'on surnommera donc ainsi, à cause d'une hypothétique et lointaine ascendance mauresque, avait un caractère brusque et entier. Il fut toute sa vie et sans aucune concession, à la fois royaliste légitimiste, catholique exigeant, cévenol rigoureux, et impitoyable défenseur de la langue occitane pour laquelle il batailla sans discontinuer. Mais il avait un coeur d'or et une sensibilité à fleur de peau...

En 1862, il écrit une nouvelle cévenole, Lis amouros de Simoneta, et participe au concours organisé par les poètes provençaux à Apt. Il va alors faire la connaissance de Mistral, d'Aubanel... et de Mathieu Lacroix, pour les obsèques duquel il écrira un poème. Il va écrire beaucoup pendant quelques années et puis il réunira ces poèmes épars dans un livre intitulé "Los Cants de l'Aubo", en 1868. Ce livre sera remarqué par Mistral dans l'Almana Prouvençal de 1869. C'est alors qu'il rentre à la Compagnie du PLM, et qu'il fréquente à Montpellier de nombreux félibres. Il collabore à des journaux nimois, comme Dominique et La Cigale d'Or. Fixé à Montpellier, il y mourra en 1927. Après sa mort on réunira ses oeuvres dans un livre posthume "Las Raiolas".

 

Extraits de "Los Cants de l'Aubo"

 

Une pastourelle cévenole en langue d'Oc :

 

— Digo, ounte vas, moun amigueto?
— Moussu, querre d’aigo en Gardou.
— Vos-ti que porte ta dourqueto?
Vos que t’acoumpagne, Teldou?
— Per tène une dourco es encaro
Moun bras prou fort emai adré;
Sens vous també de l’aigo claro
Trouvarai lou cami tout dre.
Mès veses pas qu’es niuè toutaro?...
Auras pas pòu per t’entourna?
— Pou? moussu, de-que voulès dire?
E pièi s’esclafiguè de rire,
E me diguè bon-vèspre! e caminè tourna...
E iéu, noun sai perqué, l’espinchant s’enana,
Restave aqui planta sens boulega de plaço.
Elo, en virant la tèsto, alor s’escacalasso
De me veire quiha coumo un estève, e zóu!
Courris mai e sa vouès escampo uno cansou
Que vai dereveia l’aucèl dins sa nisado.
S’escapant de darriès sa coifo desnousado,
Sous pèus negres e longs, que panlèvo lou vent,
S’espandissou dins l’èr coumo un ventau; souvent
Van entourtiviha soun col qu’a la pèl blanco,
Ou be, coumo un mantèl, l’acàtou jusqu’à l’anco...
E la dourco e lou bras fàsou balin- balan...

 

L’aigo manco à l’oustau, també marcho pas plan:
Soun pèd, de tant que vai vivo, lòugièiro e lèsto,
De las flous dau pradet gimblo à peno la tèsto...
Es arrivado au gourg e, sus lou bord dau ro,
Soun cors linge e ben pres se courbo coumo un cro.
Ausiguère lou brut que faguè la dourqueto
En cabussant dedins aquelo aigo fresqueto.

 

Ero ben escabour quand repassè tourna:
— Tè, sès encaro aqui? vous sès pas enana?
De-que pot rèstre acò qu’aqui vous empastello?...
— De- que me tèn aqui? Iéu adore uno estello;
Aquelo estello es tu... Me gararièi jamai
Tant que sariès aici! — Iéu, uno estello?.. — E mai
La drolo, en me quitant, s’esclafiguè de rire;
Coumprenguè pas, l’enfant, ço qu’avièi vougu dire.
Fouligaudo, en cantant, gagnè lèu soun oustau;
La veguère pas pus quand barrè lou pourtau...
Mès sa visto èro aqui dins moun cor arrapado!...

 

 - Dis moi où vas-tu, ma petite amie ?

- Monsieur, chercher de l'eau au Gardon.

- Veux-tu que je porte ta petite cruche ?

Veux-tu que je t'accompagne, Teldou (1) ?

- Pour tenir une cruche mon bras

est encore assez fort et assez adroit ;

Même sans vous je trouverai

Tout droit le chemin de l'eau claire.

- Mais ne vois-tu pas qu'il fait presque nuit..?

Tu auras peur pour revenir ?

- Peur ? Monsieur, que voulez-vous dire ?

Et puis elle s'esclaffa de rire,

Et me dit bonsoir ! Et se remit en chemin..

Et moi, sans savoir pourquoi, en la regardant partir,

Je restais là planté, sans bouger de place.

Elle, tournant la tête, se mit alors à rire

De me voir planté comme un manche de charrue, et zou !

Elle court et sa voix jette une chanson

Qui va réveiller l'oiseau dans son nid.

S'échappant de derrière sa coiffe dénouée,

Ses cheveux noirs et longs, soulevés par le vent,

S'étalent en l'air comme un éventail ; souvent

Ils vont entourer son cou à la peau blanche,

Ou bien, comme un manteau, la recouvrent jusqu'aux hanches..

Et la cruche et le bras se balancent...

 

L'eau manquent à la maison, malgré cela elle ne marche pas vite :

Son pied, tellement elle est lègère et leste

Des fleurs du pré plie à peine la tête..

Elle est arrivée au gourg, et sur le bord du rocher

Son corps souple te bien pris se courbe comme un crochet.

J'ai entendu le bruit qu'a fait la cruchette

En plongeant dans cette eau frisquette.

 

C'était bien obscur quand elle repassa à nouveau :

- Tiens vous êtes encore là ? Vous n'êstes pas parti ?

Qu'est ce que ça peut être ce qui vous retient ici ..?

- Ce qui me retient ici ? Moi, j'adore une étoile :

Cette étoile c'est toi.. Je ne partirais jamais

Tant que tu seras ici. - Moi, une étoile ? Et à nouveau

La fille en me quittant éclata de rire.

Elle ne comprit pas, l'enfant, ce que je voulais dire.

En gambadant, en chantant, elle regagna sa maison ;

Je ne la vis plus quand elle ferma le portail..

Mais sa vue était toujours là, accrochée à mon coeur !!

 

 

(1) Albert Arnavielle finit par épouser sa Teldette  !

 

 

 

 

L'amour du Pays :

 

LOU CASTAGNIE (Extraits)

I

O grand aubre de la castagno,
O moun castagniè cevenòu,
Per te canta sus la mountagno
Trouvarai be quicon de nòu!
Moun amo, à ta rusco arrapado,
Vè-la d’amour que per tu bado,
Coumo tous verds pelous hou fan...
Pourrièu, de la roro vesino,
Pulèu derraba ta racino,
Que toun noum de moun cor d’enfant!

II

T’aime, dins la sesou de glaço,
Quand siès quiba sus lou roucas,
Alor que l’auro s’esquialasso,
En s’acoussant dins tous brancas,
Ai! de ta fièio te rènd véuse:
Vè, revouluno embé lou féuse...
N’aurai mai, vèngue lou printems!
As dich. “Aurage, bramo, flambo!
Dempièi cent ans, dre sus ma cambo,
Te morgue tu, morgue lou tems! ”

O veteran de las Cevenos,
Lou Raiòu, o vièl toujour verd,
A de ta sabo dins sas venos,
Car viéu de l’auro e de l’ivèr!
E sous enfants, raço racejo
Màujou, ‘mbé lou bon pan de sejo,
Tas castagnos, sèr e mati;
Bévou lou vi que Diéu nous mando;
També, la meno franchimando,
Vè, de coumo aqueles n’a-ti?

III

L’ivèr jala, l’auro que bramo,
O castagniè, fan trouva dous
De se canfa proche ta ramo,
Dins la baito, au sòu d’assetous!
Ta flamado sèr de candèlo,
Pièi quand, dins la negro padello,
Toun fru petaire a prou sauta,
Dins la joio cadan se trempo:
Rousso afachado, bono trempo...
Ha! lou rèi n’en voudriè tasta!

Mès, se lou rèi n’en vòu, que vèngu
El-mème empura lou gavèl.
Voulèn que long-tems se souvèngue
D’aquel manja, per el nouvèl.
Laissant l’estoufairo afachado,
Majesta, saras pas fachado
Sens per acò chauja de plat
De faire ounou de tas ratetos
A las pelados, à las tetos,
A las bajanos dins lou la.

IV

Coumo un véuse, que repren joio,
Escampo lou negre mantèl,
Quand lou grand serre se despoio
D’ivèr qu’acato soun rastèl,
S’abiho alor, per faire fèsto,
Dempièi lous pèds fin-qu’à la tèsto,
O castagniè, de ta verdou!
As ventoulets toun su trantaio,
E quand te clenes, vè, badaio,
Toun pelous, per béure au Gardou!

Lous cans de l'aoubo  - Albert Arnavielle

 

LE CHÂTAIGNIER (Extraits)

 

I

 

O grand arbre de la châtaigne

O mon châtaignier cévenol

Pour te chanter sur la montagne

Je trouverai bien quelque chose de neuf !

Mon âme, accrochée à ton écorce,

Regarde, elle bée d'amour pour toi,

Comme le font tes bogues vertes...

On pourrait plus facilement arracher ta racine

Que ton nom de mon coeur d'enfant.

II

Je t'aime dans la saison glaciale,

Quand tu es planté sur les grands rocs,

Alors que le vent s'épuise à souffler, sifflant

En fouettant tes branchages,

Aïe, il te rend veuf de tes feuilles

Regarde les tourbillonner avec la paille...

"J'en aurai encore le printemps venu,

As-tu dis. Enrage, hurle, flambe,

Depuis cent ans droit sur mon tronc

Je te nargue, je nargue le temps !"

 

Ô vétéran des Cévennes

Le Raïol, ô vieillard toujours vert,

A de sa sève dans ses veines,

Car il vit du vent et de l'hiver !

Et ses enfants, de bonne race,

Mangent avec le bon pain de seigle

Tes châtaignes, soir et matin ;

Ils boivent le vin que Dieu nous envoie ;

Et aussi bien, vois-tu, la race "franchouillarde",

En a t-elle de ce calibre ?

 

III

 

L'hiver qui gèle, et le vent qui hurle,

Ô châtaignier, font trouver doux

De se chauffer près de tes branchages

Dans la maison, assis par terre !

Ta flambée sert de chandelle,

Puis quand dans la poële noire

Ton fruit a assez sauté en pétillant,

Chacun se plonge dans la joie :

Rousse affachée et bonne trempée...(1)

Ha ! Le roi voudrais bien y goûter !

 

Mais si le roi en veut

Qu'il vienne lui même attiser le fagot.

Nous voulons qu'il se souvienne longtemps

De ce mets nouveau pour lui.

Laissons l'affaché étouffante,

Majesté, tu ne seras pas fachée

Sans pour cela changer de plat

De faire honneur de tes dents délicates

Aux châtaignes pelées, aux châtaignes boullies,

Au bajana au lait.

 

IV

 

Comme un veuf qui reprend joie,

Rejette le manteau noir,

Quand le grand serre se dépouille

Qu'il se débarrasse de l'hiver qui recouvre son dos,

Il s'habille alors pour faire la fête

Depuis les pieds jusqu'à la tête,

Ô châtaignier ! de ta verdure.

Au petit vent ta tête frissonne,

Et quand tu t'inclines, vois tes bogues,

Bâillent, pour boire au Gardon.

 

 

Les Chants de l'Aube - Albert Arnavielle

 

 (1) Les "affachées" : nom donné aux châtaignes grillées à la poële et non pelées..  On les "trempe" quelquefois avec de la piquette.

 

Voir aussi la poésie prononcée sur la tombe de Mathieu Lacroix...

 

 

Alain Gurly - 12/2004

 

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